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Etat d’urgence pour la psychiatrie : le SMPS demande aux pouvoirs publics des actes forts

Notre système de santé est en crise. Un tel propos peut sembler banal tant celui-ci est répété à l’envi depuis plusieurs années. Pourtant il semble nécessaire de le répéter et de souligner la gravité de la situation. Aucun territoire, aucun type d’établissement et aucune spécialité n’est aujourd’hui épargné par ces difficultés structurelles qui, à terme, remettent en cause la capacité de notre système à assurer ses missions de base au service de la population. Comme bien d’autres spécialités médicales, la psychiatrie souffre de maux importants qu’il faut désormais traiter.

A ce titre, les récents évènements de début février aux urgences du CHU de Toulouse sont venus mettre de nouveau en lumière une situation que les Manageurs de santé des hôpitaux et des établissements sociaux et médico-sociaux de la FPH ne connaissent malheureusement que trop bien. Si le SMPS se félicite que le Ministre délégué à la Santé et à la Prévention, Frédéric Valletoux ait annoncé des mesures locales avec fermeté pour que l’ensemble des offreurs de soins participent à la permanence des soins et à l’accueil des patients qui nécessitent une hospitalisation en psychiatrie, cela fait cependant plusieurs années que les directeurs, responsables médicaux et cadres alertent sur la situation de l’offre de soins en psychiatrie.

Comme le soulignait récemment l’UNAFAM, « aujourd’hui, les pathologies psychiatriques concernent plus de 13 millions de Français. Parmi eux, plus de 3 millions souffrent de pathologie sévère comme un trouble schizophrénique, un trouble bipolaire, une dépression résistante ou un trouble borderline. 13% des enfants seraient concernés par un trouble de la santé mentale. Ces troubles sont la première cause d’années de vie vécues avec un handicap et d’années de vie perdues en bonne santé. C’est la première cause de mortalité chez les 10-24 ans. Le coût économique et social de ces troubles psychiques pour le pays a récemment été évalué à 109 milliards d’euros par an. Ces chiffres démontrent que la santé mentale, et particulièrement la psychiatrie, sont des enjeux de santé publique ».

Sur le terrain, la dégradation de l’offre de soins est manifeste dans de nombreux territoires. Elle est d’abord liée aux problèmes de démographie médicale et de la répartition territoriale comme pour nombre de spécialités médicales. Comme l’indiquait la FHF en septembre dernier, entre un quart et trois quarts des postes de médecins psychiatres sont vacants dans 40% des établissements publics. 8% des établissements déplorent la vacance de plus de la moitié de leurs postes de médecins. En Sarthe par exemple, il reste seulement 4.8 ETP de psychiatres adultes pour les secteurs intra-hospitaliers, et 4.8 ETP pour l’activité ambulatoire pour un département de 550 000 habitants, situation affectant directement le service d’accueil des urgences, en particulier pour les patients nécessitant des soins sans consentement.

Entre 2013 et 2022, le nombre de lits d’hospitalisation complète en psychiatrie a chuté, passant de 98.000 à 59.000 (selon la DREES). Cette diminution massive du nombre de lits s’est accompagnée d’une évolution deux fois inférieure des budgets des établissements de santé mentale en comparaison des budgets des autres établissements de santé. Les fermetures de lits liées à un déficit de psychiatres se sont accumulées ces dernières années, conduisant à des difficultés majeures pour trouver des lits d’hospitalisation pour les patients. Les équipes et leurs responsables doivent alors rechercher des lits sur un département, une région voire sur tout le territoire national dans les situations les plus critiques.

Les problématiques d’ordre public avec des injonctions contradictoires imposées aux Manageurs de santé se surajoutent aux difficultés des urgences psychiatriques et d’offre de soins. Quand certains patients sont médicalement sortants, les mesures de prudence des représentants de l’Etat pour des craintes de troubles à l’ordre public amènent à garder des patients hospitalisés alors que leur situation médicale ne le nécessite plus, affectant d’autant plus la disponibilité en lits sur les secteurs. La psychiatrie est victime des contradictions de notre société, elle qui est à la fois accusée d’être trop permissive en faisant sortir régulièrement des patients qui seraient dangereux pour la société, et dans le même mouvement jugée liberticide dans ses pratiques alors même que l’isolement et la contention sont depuis longtemps des pratiques de dernier recours (même si certains excès ponctuels ont justement été dénoncés).

De plus, les réformes du financement et celle des autorisations laissent encore dans le flou les responsables d’établissements, en particulier quant à la non prise en compte des nouvelles règles relatives à l’isolement et à la contention qui alourdissent considérablement la charge de travail des professionnels exerçant en psychiatrie.

Les Manageurs de santé n’ont pourtant pas attendu ces difficultés pour mobiliser les équipes, faire évoluer les pratiques en psychiatrie, développer la pair-aidance dans les prises en charge, miser sur les prises en charge ambulatoires et les équipes mobiles, accentuer les délégations de compétences et la place accordée aux professionnels paramédicaux, mobiliser les partenaires sociaux et médico-sociaux, développer les téléconsultations…

Cela ne suffit pourtant pas en l’absence de soutien affirmé de l’Etat et d’une véritable stratégie de santé publique. La crise sanitaire a d’ailleurs encore renforcé les besoins de prises en charge, notamment pour les mineurs alors même que la pédopsychiatrie est sinistrée dans de nombreux départements. Malgré les nombreuses concertations, des Assises de la santé mentale en 2021 au Conseil national de la refondation de la santé mentale en 2023, les professionnels de santé et les Manageurs attendent autre chose que des multiples tables rondes qui ont déjà eu lieu ou réunions de crise menées par les ARS qui s’enchainent durablement.

Le constat d’une crise majeure est établi depuis longtemps comme ont pu l’écrire dans différents ouvrages certains psychiatres comme Marion Leboyer, Pierre-Michel LLorca ou Daniel Zagury. Le temps de la reconstruction doit désormais suivre le constat et les nombreuses concertations.

Pour redresser la psychiatrie et la santé mentale en France, le SMPS demande :

  • Une grande circulaire refondatrice avec un portage politique fort et une coordination interministérielle qui a trop manqué ces dernières années, énonçant les objectifs des politiques publiques en matière de santé mentale et de psychiatrie.
  • Au plan des territoires, faire des PTSM une plateforme essentielle pour la coordination de l’offre de soin et des acteurs non sanitaires de la santé mentale.
  • Un véritable plan d’attractivité, de répartition territoriale et de formation pour les ressources humaines en psychiatrie et en santé mentale permettant à terme de former, recruter, fidéliser et rouvrir les lits de psychiatrie fermés ces dernières années ; à cet égard, une réduction progressive du taux d’inadéquation des postes ouverts aux futurs internes est nécessaire, afin que tous les postes d’internes en psychiatrie soient progressivement pourvus.
  • La reconnaissance de la pénibilité particulière liée à l’exposition à la violence dans certains services de psychiatrie (SAU, centres de crise, services d’intra-hospitalier…)
  • Des perspectives de financements pluriannuels des établissements permettant d’inscrire dans le temps les projets d’évolution de l’offre de soins en psychiatrie au-delà des appels à projets réguliers et dans l’objectif de clarifier les conséquences du nouveau modèle de financement
  • Un objectif national pluri annuel d’ouverture de lits de psychiatrie et de places médico-sociales adaptées aux besoins des personnes souffrant d’une problématique de santé mentale et/ ou d’un handicap psychique, ainsi qu’un grand plan de développement de l’ambulatoire intensif accessible sur tous les territoires ;
  • La généralisation des « SAS psy » au sein des SAS qui vont se déployer sur tout le territoire en 2024 afin d’offrir une réponse de premier niveau à tous les patients qui en ont besoin ;
  • Un rapprochement avec les autres administrations déconcentrées de l’Etat (préfets, procureurs…) sous l’égide des ARS pour faciliter l’intégration des différentes composantes des parcours en santé mentale ;
  • La poursuite de l’investissement dans les fonctions de coordination des parcours aux échelles locale, régionale et nationale ;
  • La mise en œuvre des préconisations du plan de protection des agents publics du Ministre Guérini fortement attendues par les professionnels exerçant en psychiatrie pour renforcer la sécurité de leurs conditions d’exercice ;
  • Un appui interministériel à l’enseignement, la recherche et l’innovation en psychiatrie sur les territoires sous l’égide des CHU, des EPSM à valence universitaire et des facultés de médecine ;
  • Une participation effective de tous les établissements, publics comme privés, à la permanence des soins en psychiatrie comme le prévoit la loi Valletoux avec un contrôle régulier et ferme des ARS, susceptible d’effets sur les renouvellements d’autorisations ;
  • Enfin concernant les Manageurs de santé, la prise en compte des sujétions relatives au fonctionnement du service public de psychiatrie (gardes et astreintes) dans les réformes statutaires à venir.

Le SMPS apporte tout son soutien aux directeurs, cadres et responsables médicaux qui dans le cadre de leurs associations professionnelles portent depuis longtemps des revendications légitimes, sans catastrophisme mais en responsabilité. Car si les difficultés propres au secteur de la psychiatrie amènent celui-ci à un point de rupture constaté par l’ensemble des acteurs, un tel constat peut aujourd’hui être généralisé à l’ensemble des spécialités et à l’ensemble des établissements hospitaliers, sanitaires, sociaux et médico-sociaux.

L’été qui vient s’annonce une fois encore comme un énième épisode de ce qui sera encore pudiquement qualifié de « tensions ». Les manageurs de santé sont lucides sur le fait que cela aboutira un fois encore à de nouvelles suspensions de services, à des fermetures de lits et places et à des délais d’attente toujours plus longs dans les services d’Urgences. Chaque épisode de tensions est un nouveau coup porté au service public hospitalier dans son ensemble. Chaque nouvelle fermeture à l’échelle d’un territoire est un pas de plus vers le point de rupture. Les acteurs du terrain témoignent de ce quotidien, il est désormais plus que de temps de leur envoyer des signaux forts pour préserver le présent et préparer le futur de notre système de santé en général et de la psychiatrie française en particulier.