Table ronde n°2: « Prévenir, gérer et surmonter les conflits: le rôle des manageurs »
Table ronde n°2 – Prévenir, gérer et surmonter les conflits : le rôle des manageurs »
Les conflits sont inhérents aux relations humaines et par conséquent au monde du travail. Mais si la confrontation des points de vue et des caractères peut être constructive et source d’enseignements et d’expériences, elle peut aussi être synonyme de tensions, d’enlisement, de blocages et de conséquences négatives tant pour les individus que pour le collectif.
L’accroissement continu des situations de conflits s’observe depuis plusieurs dans les secteurs sanitaire, social et médico-social. Elle est à à ce titre un important facteur de perte d’attractivité pour nos établissements et de perte de sens pour de nombreux agents publics. Face à ces constats, le rôle du manageur est primordial. Cela nous amène ainsi à nous interroger sur la nature des conflits et à leur résolution puisque le manageur peut en être à la fois acteur, arbitre mais aussi médiateur.
Pour échanger sur le sujet, une table ronde portant sur « Prévenir, gérer et surmonter les conflits : le rôle des manageurs entre acteur, arbitre et médiateur » se tiendra au cours du 76e Congrès annuel du SMPS. Nous avons eu le plaisir de convier :
- Nadia BOULHAROUF, Cheffe du département de gestion des Directeurs du Centre national de gestion
- Monique GIRAUD, cadre supérieure de pôle au CHU de Rouen, représentante de l’ANCIM
- Frédéric SPINHIRNY, Directeur des affaires médicales du CHU de Tours
- Danielle TOUPILLIER, médiatrice nationale pour les personnels ses établissements de la FPH
La table ronde était animée par Lucie ALBAGNAC-RICARD, Directrice des affaires médicales du CH de Valenciennes, et Arthur GOUDARD, Directeur adjoint des affaires médicales du CHU de Besançon, tous deux représentants du collectif « Jeunes manageurs de santé » du SMPS
Lucie Albagnac-Ricard (LAR), modératrice : Bonjour à tous. Nous trouvions que c’était intéressant de s’arrêter sur cette notion de conflit. On entend souvent que le conflit est omniprésent dans nos établissements, particulièrement à l’hôpital. Qu’il s’agit d’un des lieux les plus conflictuel où il y a de nombreuses cultures professionnelles qui se rencontrent entre les différentes corporations, particulièrement médicales, mais aussi différents objectifs qui peuvent parfois ne pas être concordants au sein d’un même établissement.
Et on se demandait voilà comment on pouvait en tirer profit, en tirer parti et puis éventuellement les dépasser et quel était le rôle donc du manager.
Arthur Goudard (modérateur): On a en effet parlé des tensions ce matin, mais il arrive que ces tensions éclatent en tant que conflits, qu’il y ait quelque chose de beaucoup plus ouvert, mais aussi des fois de violent. Ce conflit présente des risques pour les établissements, le blocage de situations qu’on a tous pu connaître conduisant in fine à bloquer tout l’établissement. Il présente des risques aussi pour les individus. On entend ainsi souvent dire que l’hôpital est un milieu particulièrement difficile.
Et ce qui nous rassemble aussi c’est que le manager a un rôle dans ces conflits, dans la résolution de ces conflits et qu’il est lui aussi exposé a des risques. Un dernier aspect intéressant est également de voir les aspects vertueux du conflit. A l’hôpital on n’apprécie pas le conflit, on préfère parler de discussions, de débats, mais il y a pourtant un aspect vertueux de ce conflit qu’on aimerait aussi aborder aujourd’hui puisqu’il faut bien débloquer certaines situations et puis surtout une fois que le conflit est là, il faut pouvoir le gérer.
Face à ces constats, le rôle du manager est tout à fait primordial. Il peut répondre par ses compétences mais aussi bien souvent par son expérience et c’est de ça qu’on va parler lors de cette table ronde également. Et on aimerait l’ouvrir en disant que si le conflit est inhérent à toutes les organisations humaines, surtout les plus complexes comme l’hôpital, et est-ce que finalement nos établissements de santé ne sont pas les plus vulnérables face à ces situations de conflit ?
Danielle Toupillier (DN) : Merci beaucoup pour votre invitation. Je suis très sensible de retrouver le SMPS dans le cadre de mes nouvelles fonctions de médiatrice nationale et j’en profite pour saluer les quelques médiateurs et médiatrices qui sont dans notre réseau et qui sont dans la salle aujourd’hui.
La question que l’on peut se poser c’est « est-ce qu’il y a beaucoup plus de conflits dans le monde de la fonction publique hospitalière que dans le reste du monde ? ». Je ne suis pas sûre qu’on puisse aborder cette question et se dire d’abord, « est-ce qu’il y en a plus ? » et « est-ce qu’il y en a plus qu’avant ? » Parce qu’il y a deux dimensions à ce sujet :
- La première c’est que des études que nous avons pu observer de notre côté, notamment de la Dares qui en 2016. Celles-ci constataient que l’hôpital n’était pas le lieu où il y avait le plus de plaintes ou de complaintes de la part des professionnels. Et on était plus de l’ordre de 18% alors que dans certains secteurs d’activité on était à près de 30%. Et qu’à à l’hôpital, dans le médico-social le social, on vit des difficultés particulières, des difficultés relationnelles, des difficultés interpersonnelles, des difficultés institutionnelles, et des fois le mélange de tout.
- La question d’après c’est, « y en a-t-il plus qu’avant ? ».
Nous avons beaucoup travaillé dans notre réseau des 118 médiateurs qui participent au dispositif national de médiation, avec 10 médiations régionales qui sont à votre proximité et qui sont à votre service dans une prestation qui est totalement gratuite pour les demandeurs, que ce soit les établissements ou les professionnels. Je dois dire que cette démarche est assez originale puisque finalement nous avons pris le parti de demander que l’État soit dans une autre dimension.
On parle de l’État régulateur, contrôleur, inspecteur, nous auditeurs, nous on n’est pas dans ce monde-là, on est l’Etat partenaire des établissements. Ça c’est un point extrêmement important pour vous et vous allez voir que nous en sommes habités par six grands principes dans la médiation qui nous obligent et qui vont vous permettre d’être quand même très sécurisés.
Alors « y en a-t-il plus qu’avant ? ». Notre impression c’est qu’en volume il n’y en a pas nécessairement plus qu’avant. Cependant il y a une réalité, c’est que la parole s’est libérée. D’abord par les jeunes, notamment par les communautés des étudiants en santé, particulièrement les internes et des jeunes praticiens qui finalement considèrent que travailler dans un environnement exigeant ne justifie pas pour autant qu’on soit malmené, maltraité, humilié. Nous avons donc un dispositif qui s’est mis en place en 2017 en préfiguration par Edouard Couty. Et vous allez voir que vous avez des espaces assez originaux, inédits, puisque c’est le seul modèle dans tous les services publics qui existe pour les professionnels et pour aider à la résolution de difficultés relationnelles ou de conflits. On est vraiment dans le champ du risque psychosocial. On s’appuie particulièrement sur les grandes familles qui ont été dégagées dans le rapport de Michel Gollac en 2011 : celui-ci décline les grandes familles de risques dans les risques psychosociaux tels que les exigences émotionnelles dans ce milieu où on affronte la maladie et la mort, l’intensité du travail et le stress qui est lié à cette intensité de charge et de rythme. Il y a aussi tous les conflits de valeurs que l’on peut trouver dans nos milieux professionnels, l’insécurité au travail, en particulier dans des organisations qui peuvent montrer quelques signes de défaillance, ou le sentiment pour certains professionnels que l’on est dans le règne de la désorganisation.
Je pense que nous avons investi tous ces champs et nous sommes rendu compte que finalement, pour nous il n’y en a pas plus, mais que ces conflits sont beaucoup plus révélés ; et les réseaux sociaux ont énormément contribué à la diffusion de ce type d’informations. Donc le mur du silence n’existe plus. On a le H, hôpital silence, mais là finalement nous avons le H qui se lève dans le silence.
Nous avons dans ces dispositifs pris le parti d’être aux côtés des établissements. Je voulais appeler à l’attention de beaucoup d’entre vous : vous êtes beaucoup de chefs d’établissement, d’adjoints en responsabilité fonctionnelle lourde. Le Code du travail nous oblige, vous oblige. Et le Code du travail fixe que tout employeur doit prendre les mesures de protection des salariés ou des personnels qui sont placés sous son autorité. La Cour de cassation en 2011 a sanctionné très sévèrement un employeur sur l’argument qu’il n’avait pris aucune mesure de protection d’un salarié dans son établissements.
Cette protection doit porter selon nous sur trois dimensions :
- Sécuriser les institutions.
- Mettre en sérénité l’exercice des professionnels.
- Avec ces deux facteurs ajoutés nous aidons à notre manière indirectement à vous aider à assurer la qualité et la sécurité des soins et des prises en charge des patients.
C’est donc pour nous un facteur extrêmement important. Nous sommes sous le règne de ce que l’on appelle les règlements amiables des conflits.
Vous avez dû entendre parler de l’arbitrage, négociation, conciliation, médiation. Nous nous sommes finalement dans deux concepts que nous considérons indissociables :
Un qui est lié à vous, au plan local, qui est l’espace de la conciliation. C’est-à-dire que vous avez deux notes d’information circulaires, si l’on veut. La première qui a été faite par la DGOS le 22 mars 2022 pour la partie sanitaire et une autre circulaire qui a été produite par la Direction Générale de la cohésion sociale le 30 novembre 2023, qui est à peu près le pendant, sur la partie sociale et médico-sociale. Elles sont extrêmement importantes pour vous parce que dans les critères d’appréciation et d’évaluation de la HAS, vous allez être interpellés sur les mesures que vous avez prises à la fois sur le champ de la conciliation et du règlement amiable, des difficultés relationnelles et des conflits. Donc c’est extrêmement important que vous puissiez en prendre connaissance. Vous avez une obligation qui vous est posée et une autre recommandation faite par nos ministères qui est de mettre en place des dispositifs à votre main, selon la configuration que vous désirez. Donc on a demandé que ce soit très libre pour les établissements et pas que ce soit une surréglementation. Les conciliateurs sont internes aux établissements, les médiateurs dans notre champ d’activité sont externes aux établissements. Nous sommes, nous médiateurs, aussi qualifiés en conciliation. Nous considérons avec Edouard Couty et tout notre groupe des 118 médiateurs que 95% des conflits peuvent être réglés localement.
Nous avons besoin d’être présent à vos côtés quand vous ne pouvez plus régler le conflit localement. Nous vous invitons d’ailleurs à passer très vite la main parce que j’ai coutume de dire finalement le fait de passer la main ou de dire qu’on a une difficulté parce qu’on n’a pas pu la résoudre, ce n’est pas un échec. Le fait de ne pas mettre la poussière sur le tapis est une réussite. Donc nous nous encourageons les directeurs d’établissement, chefs d’établissement et leurs équipes et la gouvernance à travailler sur les dispositifs de conciliation locale, à faire former des conciliateurs dans leur établissement et quand c’est impossible de le gérer localement, vous passez la main.
LAR : Merci pour cette contextualisation, y compris de tous les outils qui sont à la disposition des établissements lorsque le conflit s’enlise. Malheureusement, ça arrive dans tous les établissements. Cependant, le conflit fait partie aussi de notre quotidien. Il n’est pas forcément chose honteuse. Il est parfois le fruit d’intérêts divergents, de personnalités peut-être aussi divergentes. Frédéric [Spinhirny], toi, tu as travaillé sur cette thématique-là et sur le management, notamment des caractères, comment ça peut, selon toi, devenir un outil pour le manager au quotidien pour éviter d’en arriver à de tels extrêmes et à des situations qui sont complètement enlisées, où le dialogue est devenu complètement impossible?
Frédéric SPINHIRNY (FS) : C’est vrai que pour revenir à votre première question, je pense que l’hôpital reste quand même une organisation assez complexe et je pense que dans toutes les grosses organisations, il y a toujours la loi d’airain de l’oligarchie qui fait que rapidement va se créer une forme de hiérarchie entre les différents corps de métier, que ce soit dans le corps médical qu’on connaît bien ou même dans les corps administratifs. Et c’est vrai que l’hôpital de toute manière va créer ce modèle-là malgré une certaine mode du management participatif. On a de toute manière dans nos structures quelque chose qui va se constituer avec de la hiérarchie. Et qui dit hiérarchie dit des relations de pouvoir, des relations d’obéissance, des relations d’intimidation, des représailles en cas de conflit. Il y a aussi une diversité de métiers qui fait qu’en plus on doit avoir des instances de dialogue pour se comprendre, pour essayer de partager les points de vue parce que sinon ça peut dériver en conflit.
Et puis il y a la question que finalement on ne maîtrise jamais dans nos établissements le caractère des individus. Déjà parce qu’on fait avec ce qu’on a devant nous et ce qu’on a ce sont quand même des gens avec leurs histoires leur personnalité. C’est donc vrai que pour moi le champ du conflit est aussi sur le terrain finalement de la psychologie des individus parce que ce qui se passe souvent ce sont des enjeux de reconnaissance. Enjeux qui ne sont d’ailleurs pas forcément hiérarchique mais qui font que tel service est en concurrence avec tel autre, tel chef de service a pris la place de quelqu’un qui aurait dû l’avoir parce qu’il se sentait plus légitime, etc. C’est vrai que je pense qu’il faut aussi étudier au-delà des outils, il faut étudier ce champ-là qui est assez immatériel, qui relève finalement un peu de la complexité des individus et qui finalement, dans les conflits, va rapidement ressortir. Et je pense qu’il y’a un souci de prévention sur ce que sont finalement les individus alors qu’on a souvent considéré que c’était un sujet trop personnel et qu’il n’y avait que les compétences qui comptaient dans la plupart des conflits.
AG : Donc on a un point de vue psychologique des caractères mais aussi on a tous un prisme métier, comme vous Madame Giraud qui représentez l’ANCIM. Est-ce que lorsqu’on est confronté en tant que cadre dans un service ou dans un pôle, il n’y a pas une différence entre le point de vue théorique du manager, avec un rôle en principe clair mais une réalité qui est bien plus complexe et est-ce qu’on ne doit pas développer des techniques différentes pour résoudre ces conflits ?
Monique GIRAUD (MG) : Au niveau de l’encadrement, oui. Par exemple, les cadres à l’hôpital, ils sont je pense vraiment au milieu de tous ces conflits. On en a reparlé ce matin, on l’a évoqué, ils sont au cœur des situations dans les unités de soins, proches des patients, proches des familles, proches des professionnels. Et oui, ils ont une place prépondérante pour être en alerte, pour repérer, pour accompagner, pour être un petit peu, ce que vous avez évoqué tout à l’heure, le médiateur ou l’arbitre, même si ce n’est pas forcément la place qu’il préfère. Il doit être très présent et puis être à l’écoute, quelle que soit la strate, il doit repérer, il doit être celui qui sait écouté et être aussi dans l’accompagnement de son équipe. Donc on est sur de la prévention idéalement, comme dans les RPS.
AG : Nous le voyons bien avec Lucie, car on est aussi ici pour représenter le collectif des jeunes managers de santé (JMS). Nous sommes sortis de l’école il n’y a pas longtemps, il y a des écoles des cadres, il y a des écoles de directeurs, mais je me tourne particulièrement vers Madame BOULHAROUF. Il y a de la théorie, mais comment en pratique peut-on accompagner les managers pour les confronter à cette réalité de terrain qui des fois est bien loin de ses aspects théoriques et qui nécessite une adaptation de tout instant?
Nadia BOULHAROUF (NB) : Alors c’est vrai que le CNG connaît cette problématique évidemment depuis longtemps, mais souhaite se structurer pour y répondre. Parce que même si ça a toujours existé comme on l’a dit, il faut qu’on lève le tabou de la difficulté au sein des équipes de direction.
Notre sujet c’est ne pas mettre la poussière sous le tapis, au sein des équipes. Et évidemment moi je vais avoir un effet loupe parce qu’on voit beaucoup de choses en même temps que la parole se libère aussi au sein des équipes. Mais avant d’aller plus loin je voudrais redire que le CNG se structure pour essayer d’accompagner ce mouvement là et que la structuration passe par des éléments que vous connaissez mais qu’on a envie de promouvoir énormément, comme le mentorat à la prise de poste par exemple. Parce que quand un élève, un jeune directeur, prend son poste, il est tout de suite confronté à ça et le dispositif du mentorat peut être un bon moyen pour l’accompagner. Vous savez aussi qu’au sein du CNG, il y a une équipe de coach qui est là aussi un bon outil pour appréhender ce type de situation qu’on est forcément amené à rencontrer à l’hôpital.
On l’a dit, on va forcément rencontrer ces difficultés-là au cours d’une carrière. C’est pourquoi nous avons mis en place les rendez-vous du management. Régulièrement, le CNG fait des webinaires sur tout un tas de thématiques assez larges pour notamment outiller les collègues. Dans l’approche managériale, par exemple, il y a eu une conférence sur le management intergénérationnel, qui montre que les jeunes générations ne voient plus les choses de la même façon, il faut aussi qu’on prenne ça en compte tous dans notre management. Donc voilà, l’intervention du CNG dans un premier temps, c’est ça, c’est d’essayer de se structurer pour essayer aussi de vous accompagner en matière managériale.
LAR : C’est vrai, vous avez raison de le souligner. Je pense que tout jeune cadre, ou moins jeune d’ailleurs, qui prend des nouvelles fonctions, se rend vite compte de ça. On est tout de suite à l’intersection des intérêts divergents des uns et des autres et on nous demande de nous positionner, d’aller poser un arbitrage et ce n’est pas forcément très évident. Il y a beaucoup de choses qui relèvent finalement du savoir-être et de choses qu’on apprend par compagnonnage ou au fil de l’eau mais le CNG tente aussi de formaliser ces éléments là et de transmettre ce savoir-être aussi au directeur. Est-ce que vous pouvez nous en parler un petit peu plus ?
NB : Ce dispositif expérimental. D’abord avec un mentorat sur la Nouvelle Aquitaine, puis ensuite, cette année, avec un appariement d’une trentaine de mentors et de mentorés par appel à candidature, et il va y en avoir un nouveau. L’autre élément, c’est qu’on propose systématiquement au moment de la prise de poste un coaching. Ça, c’est devenu une offre systématique qui n’était pas du tout le cas dans ma génération, on y est arrivé avec nos propres outils, notre savoir-être et puis notre façon de faire, un peu empirique. Et puis on était soumis, on était tutoré par son chef d’établissement avec lequel on avait plus ou moins finalement d’admiration, d’affinité.
Mais aujourd’hui on propose un coaching. Marie-Noël Gérin-Brozard (NDLR : Directrice Générale du CNG) a l’habitude de dire que le coaching c’est de « l’hygiène professionnelle » et que de toute façon il peut intervenir à différents moments de la carrière. Donc la prise de poste, ce sera une modalité de coaching à ce moment-là. Ça peut intervenir également en milieu de carrière parce qu’on se pose des questions et qu’on a des doutes et qu’on est face à des difficultés, mais pas seulement. Et puis il peut intervenir quand on est face à des difficultés.
Voilà en fait les différents temps qui aujourd’hui sont mis en place pour essayer de permettre en tous les cas d’accompagner tout au long de la carrière la gestion de ces difficultés.
AG : Merci beaucoup. En effet ça fait partie des solutions qui sont fondamentales pour accompagner en lien avec les problématiques qui peut y avoir mais aussi cette levée de tabous qui est bénéfique in fine. La question que j’aimerais vous poser de manière peut-être un peu ouverte c’est comment dans les établissements on peut aussi canaliser les conflits et amener les personnes vers un changement de leur vision du conflit, vers quelque chose de plus constructif ?
FS : Alors je considère qu’il faut être conscient que tous les établissements ne peuvent pas se le permettre. Je vois bien dans le fonctionnement de la région Centre-Val-de-Loire tous les établissements n’ont pas des collègues formés au VSS, discrimination, à l’enquête administrative, voire même plus, c’est-à-dire commencer à se sur-spécialiser en demandant des formations à la médiation, gestion de conflits.
Et d’autres établissements ne sont pas là du tout. Je pense qu’il y a des compétences quand même qui doivent se dégager. Je pense que quand on travaille dans les ressources humaines, DRH, Direction des affaires médicales ou à la Direction des soins, on doit quand même devenir expert. À partir du moment où on s’engage dans les ressources humaines, il faut qu’on fasse un petit examen de conscience parce qu’on incarne certaines valeurs. On doit aussi être des conseillers pour les chefs d’établissement et on doit être vigilants et s’astreindre à une certaine éthique. Alors, ça fait un peu austère, mais je pense qu’il faut qu’on devienne l’avocat du diable aussi, c’est-à-dire que on doit diffuser une certaine culture du contrôle de comportement. C’est pas la « start-up nation », c’est pas hyper libéral, mais en vérité je pense qu’on a besoin dans des établissements aussi exigeants que les nôtres d’avoir des personnes qui sont capables de lever la main en disant attention entre nous, il y a des rapports informels qui peuvent être néfastes ou qui peuvent le devenir et je pense qu’on doit forcément incarner quelque chose pour diffuser une certaine culture.
Petite parenthèse sur les affaires médicales puisque on est un peu entre nous dans la table ronde mais c’est vrai que les commissions de vie hospitalière servent aussi, je trouve, à positionner une CME vers des choses que les DRH savent bien et les organisations syndicales connaissent bien, c’est-à-dire les dispositifs de signalement, les formations pour les chefs de service, à tout ce qu’on vient de dire (discrimination, violence sexuelle et sexiste) et puis commencer à repérer des médecins qui peuvent accompagner la direction sur la résolution de conflits avant qu’on puisse effectivement lever la main pour une aide extérieure. Je pense qu’il y a quelque chose d’assez culturel en vérité à propager et ce n’est pas si évident que ça. Ca prend du temps mais une fois que c’est en place au moins un établissement peut se dire voilà la ligne rouge qu’on a décidé de pas franchir et on en fait une valeur collective.
LAR : Ça peut être difficile parfois de régler à l’intérieur d’un établissement quand on a notamment des figures historiques d’un établissement qui se retrouve à être peut-être mis en cause. Et c’est peut-être aussi la valeur ajoutée d’avoir un médiateur extérieur à l’établissement, d’avoir quelqu’un qui finalement n’est pas partie prenante pour réguler ce conflit et qui peut dire que des choses ne sont pas acceptables et doivent être résolues. Alors que la tentation ou le réflexe premier pourrait être de protéger ses pairs et de ne pas au contraire exposer ses faits au grand jour dans un établissement.
DT : C’est très important ce que vous dites parce que nous avons trois principes que nous n’allons pas retrouvés totalement dans le concept de la conciliation et qui assoient la confiance :
- la confidentialité, absolue, illimitée dans le temps. Alors tu as parlé de culture, moi je suis très sensible à ça, parce que nous sommes rendu compte d’un point majeur, c’est qu’on a beaucoup parlé, et on parle encore de la culture managériale. Nous, nous pensons qu’il y a une culture qui transcende tout, c’est la culture de la relation. Ça a été très peu développé dans les formations jusqu’ici, mais finalement, la connaissance de l’autre, l’interaction avec l’autre, qui est un d’ailleurs des pans du coaching du CNG, j’en profite pour dire que nous travaillons très bien avec le CNG et que nous sommes des partenaires du quotidien quand c’est nécessaire, tant sur le volet directeur que sur le volet praticien hospitalier et hospitalo-universitaire.
- la liberté, on peut venir en médiation, on peut refuser de venir en médiation, on peut aller en médiation et puis finalement ne pas vouloir aboutir à signer le protocole d’accord même si on l’a soi-même réalisé. Mais finalement la réussite elle se mesure comment ? Elle se mesure au nombre de protocoles signés, parce que c’est un facteur objectif, mais elle se mesure aussi aux comportements qui ont bougé et qui ont bougé de manière si significative que le quotidien est acceptable dans la relation professionnelle. Donc c’est un élément extrêmement important
- L’indépendance. Et donc pour répondre à votre question sur la médiation externe, c’est sa grande force. L’indépendance par rapport à tous ceux qui sont les commanditaires, à tous les professionnels, à tous les institutionnels, que ce soit le ministre qui nous sollicite, que ce soit les ARS, que ce soit les préfets, que ce soit les chefs d’établissement, que ce soit un professionnel de santé, nous sommes indépendants. On ne cherche pas la vérité, il n’y a jamais une vérité. Dans toutes les situations que nous avons pris en charge, 413 en 2023, il n’y a pas une vérité. Il y a la vérité des uns et la vérité des autres. Et finalement, nous, on va être à une vérité comprise, acceptée, dans ce travail d’approche de la relation, de la complexité dans la relation, où nous allons lever le voile. Donc n’ayez pas peur finalement de recourir à de l’extérieur parce que ça vous protège et en même temps ça vous met à distance de ce conflit-
AG : Vous parliez de balance de la justice, quelquefois il faut un glaive. Comment, quand on est manager, on peut se sentir en capacité de sanctionner, mais comment on fait pour être accompagné dans les sanctions qu’il faut conduire ?
NB : C’est moi le glaive ? (Rires) Alors, quand même, je voudrais juste revenir sur un petit point avant d’en arriver là : quand parle à chaque fois de lever le voile, la poussière sous le tapis, etc. Donc je redis qu’effectivement, dans les équipes de direction, et c’est ce que je vis au quotidien, il faut ne pas mettre la poussière sous le tapis, même entre nous, collectivement. On est des managers et entre nous ce sont exactement les mêmes ressorts qui sont mis en place, c’est les mêmes ressorts de chacun sa vérité. Et on n’est même pas capable entre nous de déceler très vite les signes. Je trouve qu’on devrait, au sein des équipes de direction, avoir plutôt très vite recours à ce type de médiation ou au moins déjà dans un premier temps très vite se parler, s’entendre, et s’écouter. Mais déjà se parler parce je vais être un peu direct, un peu cash, c’est que nous, CNG, on arrive toujours en bout de chaîne quand même, encore aujourd’hui. Et donc on arrive au stade de « ça y est c’est de l’insuffisance professionnelle, je veux plus de cette personne ».
D’accord, c’est encore un peu un tabou. On a tous collectivement du mal à se dire que ça ne va pas. Donc ce conflit positif, il faudrait réussir à le transformer, parce qu’on sait que c’est comme ça, on sait que ça peut arriver. Pourquoi on n’ose pas se dire à un moment donné, « ça ne va pas » ? On ne se dit pas que ça ne va pas, et en quoi inévitablement ça se transforme ? On finit ainsi par cocher, sans le vouloir, les cases du harcèlement et se retrouver très vite harcelé.
Et c’est peut-être un peu naïf de ma part, mais je trouve vraiment que comme on ne fait pas suffisamment de prévention, qu’on n’objective pas, qu’on ne se dit pas les choses au moment où on peut se les dire, on aggrave les choses. L’entretien d’évaluation, par exemple, reste quand même un moment important pour pouvoir de manière apaisée se dire les choses. Ca éviterait cet enchaînement fatal qui a finalement toujours le même ressort le même ressort.
J’en profite pour dire qu’il y a une plateforme qui a été mise en place depuis 2022 de signalement des conditions d’exercice difficiles, plateforme qui est anonyme. L’année dernière on a compté 58 signalements mais là, fin septembre [2024] on est déjà à une soixantaine donc ce dispositif est désormais connu. Les gens se signalent sur la plateforme et de l’autre côté on a le directeur évaluateur qui saisit également le CNG pour une sanction disciplinaire ou pour une procédure d’insuffisance professionnelle. Là, ce n’est pas qu’on ne veut pas y aller, mais on est déjà trop loin parce que nous, sincèrement, on n’a pas l’outil pour définir qui a la vérité.
Donc, notre objectif, c’est aussi de donner ces outils. A ce titre il va y avoir prochainement un rendez-vous du management sur l’enquête administrative et l’élaboration d’un guide dédié pour vous donner les outils pour faire une enquête à charge, à décharge, et pour donner une vision claire de la situation. C’est sur cette base-là, après, qu’on peut avoir des éléments objectifs, des éléments tracés, avec respect du contradictoire. Et ça, déjà, ça donne un élément supplémentaire.
Et je dirais, pour terminer de tout ça, c’est que le conflit, il faut en sortir. Mais pour en sortir, c’est quand même du temps long. Je sais bien que quand nous on arrive, la situation semble enkystée et la seule issue semble être le départ de la personne. Sauf que ça se passe pas comme ça, vous le savez tous, on est tous soumis à des procédures, et tant mieux.
Sortir du conflit c’est possible, mais ça demande du temps et des outils, dont un nouveau, un peu annexe, « l’accompagnement à la reprise » développé par la Médiation nationale. Et ça c’est un outil qu’on est en train d’expérimenter, parce qu’à un moment donné il faut continuer à travailler ensemble après le conflit. Le conflit ne peut pas toujours se résoudre par une séparation nette. Ça c’est quand on a réussi à se parler et qu’on prend acte. Mais il y a tout un tas de cas où on ne peut pas le faire et où il faut apprendre à retravailler ensemble. Il faut se mettre ça dans la tête et je pense que ce dispositif d’accompagnement à la reprise est un outil qui peut aider à ça
LAR : C’est vrai que c’est très important, donc peut-être pour conclure, effectivement c’est important d’arriver à désamorcer les conflits avant qu’ils prennent une ampleur dramatique et que l’intervention du CNG devienne nécessaire. Vous, Madame Girard, en tant que cadre et cadre supérieur, vous êtes au quotidien à l’interaction avec des situations probablement conflictuelles. Si vous aviez quelques astuces à nous donner avant qu’on se sépare dans votre boîte à outils de cadre pour sortir d’un conflit, quels seraient-ils ?
MG : Ma boîte à outils, c’est avant tout l’écoute. Elle me paraît essentielle et fondamentale, on l’a évoqué, on parlait de tensions, de conflits, de dysfonctionnements, mais ils peuvent être aussi être à un temps T. On est tous humains, avec nos histoires de vie, nos histoires qui peuvent impacter, la présence au travail. Je pense donc qu’il faut faire parler. J’ai eu la chance dans mon parcours de faire aussi pas mal de pédago et d’en apprendre des techniques : l’entretien d’explicitation, le désamorçage, faire confiance, l’impartialité. Et effectivement, avant d’en arriver à la médiation au niveau d’un pôle ou d’une unité, essayer de voir s’il peut y avoir un accord entre personnes.
On en a parlé ce matin, tout à l’heure aussi, il faut rester vigilants sur l’utilisation des réseaux sociaux qui peuvent être un plus, mais qui peuvent aussi toucher les individus et avoir un impact. Parfois les agents n’ont pas la mesure de l’ampleur que ça peut prendre.
DT : Oui, je voulais juste rajouter deux points. Je rebondis sur ce que vous avez dit qui est très important. Nous avons deux techniques en médiation parmi d’autres, mais qui sont fondamentales pour vous :
- L’écoute active. On vous signale un incident, un événement, vous allez convoquer la personne, et on lui dit : « voilà, on a connaissance d’un fait, on a un rapport, etc. ». De mon point de vue, aujourd’hui, avec le recul, je pense qu’il faut avoir l’écoute active et accepter le récit d’abord. Et ne pas s’embarquer…
- Le deuxième outil, c’est ce que l’on appelle « libérer les émotions ». Il faut libérer ses émotions parce que si vous voulez construire un demain meilleur dans cette relation, il faut se libérer de tout ça. Ce sont beaucoup de souffrances. Et parce qu’on n’a pas un degré d’acceptabilité équivalent d’un individu à l’autre, on n’a pas les mêmes ressentis.
Et puis le deuxième point que je voulais vous dire, nous avons aussi développé la médiation préventive. C’est-à-dire vous présentez un risque, un frémissement, et on est appelé pour travailler sur la relation avant que les climats sociaux ne dégénèrent, avant qu’il y ait l’emportement d’une vague.
AG : Merci beaucoup. Merci, libérez, écoutez, construis des demains meilleurs. Je n’ai même pas à conclure, merci à tous.