Congrès 2024 – 1ere table ronde- Des établissements sous tension(s)? Etat des lieux et regards croisés
Des établissements sous tension(s) ? État des lieux et regards croisés
L’Observatoire nationale des violences en santé (ONVS) recensait près de 20 000 cas de violences physiques et/ou verbales en 2021, dont quasiment 18 000 en établissements publics. Si ces situations ont un coût humain évident, tant pour les professionnels que pour les usagers, elles ont également un coût direct pour l’image des établissements publics et pour leur attractivité. C’est pourquoi le SMPS estime que l’ensemble de ces phénomènes ne doit pas être banalisé et doit faire l’objet d’une approche plurielle et sans tabou. Cette première table ronde du 76e Congrès national du SMPS avait donc vocation à dresser un état des lieux de la situation à travers les regards croisés d’acteurs politiques, administratifs et soignants. Nous avons échangé sur les explications de ces phénomènes, sur leurs conséquences et sur les pistes mises en œuvre à l’échelle nationale pour les résoudre. Nous avons reçu pour échanger sur ce sujet :
- Bernard Jomier, Sénateur de Paris et médecin généraliste
- Nathalie Nion, Cadre paramédicale, chargée de mission à l’AP-HP, co-rédactrice du rapport NION/MASSERON sur la sécurité des professionnels de santé remis en 2023 aux Ministres François Braun et Agnès Firmin Le Bodo
- Wanda Wrona, Directrice de la sécurité de l’AP-HM et commissaire de police
La table ronde était animée par Juliette Loiseau, Directrice au CH Saint-Louis à Ornans (Direction commune du Centre Hospitalier Intercommunal de Haute-Comté) et membre du comité « Égalité professionnelle du SMPS »
Juliette Loiseau (JL), modératrice :
« Nous le savons tous qu’aujourd’hui, nos établissements sont sous tension. Nous vous proposons cependant d’aborder le sujet sous le prisme des violences commises à l’encontre des professionnels de la FPH aujourd’hui. D’emblée nous nous devons de délimiter le sujet en excluant les violences sexistes et sexuelles (VSS), parce que nous considérons qu’elles mériteraient à elles seules une table ronde.
Nous savons par l’Observatoire National des Violences en Santé (ONVS) que 70% des comportements violents sont le fait de patients et de leurs proches. En 2021, on a dénombré 19 328 signalements, nombre vraisemblablement sous-estimé selon l’ONVS en raison d’un important sous-signalement dans les établissements. L’ONVS recense également 34 550 victimes en 2021 et relève plusieurs motifs récurrents de violences, tels que les reproches relatifs à la prise en charge du patient, les refus de soins, le temps d’attente jugé excessif ou encore l’alcoolisation. Or ces violences à l’encontre des professionnels augmentent.
Ces violences commises à l’encontre des professionnels de santé ont un coût humain évident, mais elles ont aussi un coût pour l’image de nos établissements et pour leur attractivité. C’est pour ça qu’aujourd’hui le SMPS a choisi d’en parler et d’en faire le sujet d’une table ronde, d’où l’importance d’évoquer le sujet aujourd’hui. Terminons cette introduction par une citation de Chantal Prioul qui inaugure le rapport NION/MASSERON que nous évoquerons au cours de cette table ronde : « Le danger pour la vie est de s’habituer à toutes les petites violences de la vie quotidienne et de finir par trouver ça normal ».
Nathalie NION (NN) : Merci de cette invitation pour échanger entre autres sur le rapport mais plus largement sur les violences à l’encontre des professionnels. Comme vous l’avez dit, les soignants, mais plus largement les professionnels de santé au sens large sont confrontés à ces violences quotidiennes. C’est fort de ces données et de ces constats que le Ministère chargé de l’organisation territoriale et des professions de santé a souhaité approfondir le sujet et nous a missionné le docteur Masseron et moi-même sur ce sujet en s’intéressant également à tout ce qui relève de l’extrahospitalier car les problématiques se rejoignent. Nous avons effectué pour cela 80 heures d’audition de différentes personnalités morales ou publiques pour alimenter notre réflexion et proposer 44 recommandations qui ont fait l’objet ensuite d’un plan ministériel en septembre 2023. Plan qui à ce jour n’est effectivement pas encore complètement déployé. Mais tout ça s’inscrit en fait dans le processus plus global d’une recherche d’amélioration de la santé des professionnels. Mais nos institutions se sont depuis longtemps intéressées au sujet : dès les années 80 avec la circulaire concernant la protection fonctionnelle, puis avec la création de l’ONVH, devenu ONVS, puis avec les conventions « santé, sécurité, justice » apparues dans les années 2010, et plus récemment avec l’ouverture du site de l’ONVS aux professionnels libéraux.
Certains services sont particulièrement plus touchés que d’autre. Les données qui nous sont remontées et les auditions ont permis de mettre en lumière que certains services sont plus à risque comme la psychiatrie, les d’urgence, la gériatrie, les EHPAD, les centres médicaux sociaux. Mais aujourd’hui je pense que tous les services sont concernés. Ca peut être différent en fonction de la situation géographique, en fonction de l’accueil, de profil des patients mais je crois qu’on est tous concernés. C’est un fait de société qui a pénétré de façon assez importante l’hôpital et de façon aussi emblématique que ce qui se passe à l’extérieur. La santé est le reflet de notre société
JL : Madame Wrona, avez-vous constaté dans vos fonctions à l’APHM des situations ù des soignants pouvaient être plus confrontés que d’autres aux violences ?
Wanda Wrona (WW) : A mon avis les urgences sont le cœur du problème, et de façon générale les soins non-programmées. Ces services voient arriver des flux de patients différents qui amènent effectivement des tensions. Et j’ai vu arriver également dans les services d’hospitalisation d’autres formes de violences, souvent induites par le quotidien. Il y a d’ailleurs une résilience incroyable dans les services par les soignants parce que c’est presque normal pour eux d’accepter ces situations. Les gens sont là, ils sont en peine, ils ont mal et les soignants comprennent cela.
Sur les violences, je constate à l’APHM que 80% des atteintes aux personnes sont des violences verbales. Mais on a vu apparaitre notamment cet été des violences qui ont très clairement passé un cap avec de manière systématique des menaces de viol. On dit « je sais où tu travailles », « je reviendrai avec mes copains et on va te violer » etc. Ces menaces-là sont plus inquiétantes créent un sentiment d’insécurité qui finalement va au-delà de l’instant.
JL : Monsieur Jomier, vous avez été président d’une commission du Sénat sur l’état de l’hôpital au cours de laquelle vous avez fait passer des auditions de professionnels de santé, est-ce que vous avez constaté l’impact de ces violences sur eux ?
Bernard Jomier (BJ) : Effectivement, en 2022, nous avons mis en place une commission d’enquête du Sénat sur l’hôpital public dont la rapporteure était Catherine Deroche, qui était également présidente de la Commission des Affaires Sociales du Sénat. Ce qui nous a marqué très clairement, c’est que les soignants, leurs organisations, à titre individuel, les différents corps, et au-delà des soignants, avec les personnels administratifs, techniques de direction, etc., ont exprimé un malaise commun qui est dû très probablement à la multiplicité de l’hôpital qui, un peu comme l’école, est un réceptacle des tensions de la société. Il y a les tensions extérieures qui viennent et qui le frappent. Effectivement les services d’urgence, la psychiatrie sont clairement en première ligne.
Nous étions en 2022, donc juste après la pandémie. Mais ce qui était exprimé prenait source bien avant la pandémie : situation vient de loin et a grossi avec le temps. Elle a été jugulée plus ou moins avec des mesures que l’on connaît tous, que vous avez vu, y compris en termes sécuritaires ; on a vu ainsi apparaitre des vigiles et des agents de sécurité apparaître. Ce qui était inimaginable Il y a 30 ans. Mais notre société a évolué et maintenant et je crois qu’il y a eu un basculement aussi le jour où on a quasiment admis que des pompiers se fassent caillasser et agresser alors qu’ils portent un secours immédiat à la population.
On a entendu cette grande difficulté des personnels qui d’ailleurs se mêle avec beaucoup de choses comme souvent quand il y a un mal-être sur les conditions de travail, sur leur dégradation, sur le « on n’a plus le temps de » et, en fin compte, sur le risque de perte de sens des métiers. Et ça, c’est peut-être une des pires conséquences car c’est quelque chose qui est très profond et qui relève de l’incompréhension quand on fait un métier de soins de se faire agresser au nom de cette fonction dans la société.
On a donc cette tension externe et qui s’est ajoutée à des tensions internes. C’est-à-dire qu’il y a la violence de l’institution confrontée à la société et il y a ce que génère une propre institution confrontée à ses difficultés, à ses tensions en ressources humaines, ce qui peut rendre les rapports avec les patients très tendus. C’est aussi un facteur qui s’est additionné pour créer ce mal-être des personnels soignants.
JL : Madame Wrona, pourriez-vous revenir avec votre expérience à l’APHM sur les causes qui revenaient souvent dans les violences commises à l’encontre de nos professionnels de santé ou des managers ?
WW : D’abord l’attente qui conduit à l’inquiétude qui vient se mêler à l’agacement. La période de bronchiolites annuelles par exemple est une période de tension, pas que pour les professionnels. Le parent qui rentre de la crèche, il peut attendre des heures, son gamin hurle, il est inquiet, ça ne va pas bien se passer. Vous parliez tout à l’heure des agents de sécurité, je ne suis pas sûre qu’il y ait besoin d’agents de sécurité dans les urgences pédiatriques, mais peut-être effectivement de gens qui vont baisser les tensions.
Il y a 25 ans, à l’école des commissaires de police, j’ai appris qu’il existait la prévention situationnelle qui aborde le sujet sous l’angle de l’architecture. En arrivant à l’APHM, je me suis dit qu’on pouvait tenter un projet de prévention situationnelle en repensant la question de l’attente, notamment aux Urgences de l’hôpital Nord. Et l’été 2024 s’est visiblement très bien passé, même pas une violence verbale. Il est trop tôt pour déjà savoir pourquoi, on fera le point dans quelques mois. Mais dans tous les cas c’est assez simple d’expliquer aux gens qu’ils vont être pris en compte, qu’il y a un fléchage, des zones d’attente dédiées à leur circuit, le tout dans des termes compréhensibles par tous. Donc déjà on s’économise ce genre de frictions qui viennent de cette attente.
Il y a aussi des enjeux sur les relations, avec des formations à la gestion des conflits qui aujourd’hui prennent parfois beaucoup de temps. Mais cela demande de dégager les effectifs et d’avoir les moyens humains que nous n’avons pas. A l’APHM nous avons fait le choix pragmatique de petites formations de deux heures, sur site et sur place, pour rappeler des fondamentaux mais surtout partager, débriefer et expliquer à la suite d’un événement.
BJ : Vous cité un point intéressant sur ce qui a été fait et qui aurait fait baisser les violences dans le service ou à l’accueil. Un aspect que je trouve intéressant c’est la mise en place des Services d’Accès aux Soins (SAS). Nous n’avons pas encore toutes les données mais nous savons déjà qu’il y a territoires, des hôpitaux où ça marche et d’autres où ça ne marche pas. Il va être intéressant de regarder si là où ça fonctionne, et si les SAS peuvent amener ou non à une baisse de ces violences ? On vient de passer un été difficile mais par endroits il n’a pas été difficile et la situation s’est même nettement améliorée dans certains territoires. Donc la question est de savoir si leur mise en place s’est accompagné ou non d’une baisse des violences aux portes de l’hôpital.
JL : Monsieur Jomier, on constate aujourd’hui une attente forte, société, envers les services publics. Est-ce que les soignants ont intégré cette attente selon vous ?
Bien sûr. Mais le législateur ne peut malheureusement pas grand-chose aux mouvements de société. Il les constate, il essaye de les encadrer, de les réguler mais il y a un mouvement sociétal vers ce qu’on appelle le consumérisme : « Je veux une réponse tout de suite adaptée à ma situation et débrouillez-vous pour m’apporter cette réponse parce que je paye des impôts ». Ce discours touche l’hôpital et aussi les soins de ville de la même façon. Ce sont des facteurs qui pèsent lourdement sur l’institution hospitalière comme ils pèsent sur d’autres institutions, sur l’école en particulier et sur d’autres services publics.
Et face à ça, je suis convaincu que la réponse à apporter ce sont des dispositifs spécifiques à chaque secteur. Vous avez mentionné votre rapport qui propose 44 mesures et le plan d’action dédié. Tout est pris en compte mais il n’y a pas vraiment de connexion avec les moyens en face, il y en a encore moins avec l’évaluation. Mais même en admettant que ce plan soit parfait et qu’il soit mis complètement à exécution, je ne crois pas qu’on répondra plus à la question parce que celle-ci est beaucoup plus profonde et politique. Elle concerne notre faculté à faire vivre ensemble une société qui est très diverse, où cette diversité est revendiquée et où on doit transformer en sens commun cette diversité des identités, des parcours, etc. Je vais prendre juste une minute, mais en entre 2014 et 2016 j’étais adjoint à la Mairie de Paris en charge de la santé et du handicap. J’ai donc travaillé sur le dossier de candidature des Jeux Paralympiques. Ce qu’on a fait avec les Jeux consistait à se dire « Il faut qu’on coure dans la ville, qu’on nage dans la ville, qu’on fasse du vélo dans la ville. Il faut que tout le monde y soit. Il faut qu’on montre que cette ville est une ville où les identités peuvent produire quelque chose en commun ». L’objectif était d’aboutir à un résultat d’apaisement et de partage collectif. Si on n’a pas des projets politiques comme ça, si on continue à brutaliser la vie politique, à mettre du dissensus là où il faut résoudre des problèmes et à vivre des problèmes au lieu de vivre de leurs solutions, on n’en sortira pas.
JL : On a évoqué l’état des lieux de ces violences, mais aussi les causes et les déterminants qui les expliquent. Aujourd’hui, il y a plusieurs solutions proposées par les pouvoirs publics et qui sont pour certaines mises en place dans nos établissements. Est-ce que vous pouvez nous parler d’organisation mises en place dans vos établissements ?
WW : Vous parliez tout à l’heure des conventions « santé, sécurité, justice ». Pour moi c’est une évidence. Pour l’APHM on a suivi un plan en trois grands axes : la protection des bâtiments, des cités, des services et des agents avec des moyens techniques. En matière de formation de gestion des conflits il faut aussi ajouter l’accompagnement au dépôt de plainte, parce que pour nous c’est facile, plus facile.
Et donc que peuvent faire les pouvoirs publics à ce sujet ? Déjà je crois qu’il n’y a pas grand monde qui utilise l’article 433-3-1 du code pénal [relatif aux menaces et actes d’intimidation commis contre les personnes exerçant une fonction publique]. Celui-ci permet à l’employeur de porter plainte pour la désorganisation du service du fait des injures, des menaces ou des violences. Le fait d’accompagner les gens vers le dépôt de plainte, c’est un point important au même titre que de s’assurer que les agents fassent remonter l’information. Je leur dis depuis trois ans que c’est une condition pour agir. On essaye de lutter donc contre cette sous-déclaration.
JL : Dans le rapport que vous avez corédigé, Mme Nion, vous préconisez notamment que les professionnels soient équipés de gilets de protection, notamment lorsqu’ils vont en ville. Ça rejoint l’idée de fournir le matériel suffisant aux professionnels pour pouvoir se sécuriser.
NN : Tout à fait, c’est pour renforcer le sentiment de sécurité. C’est d’ailleurs particulièrement adapté pour l’extrahospitalier dans le cas d’intervention externe. Mais comme vous l’avez dit, il y a plein de moyens qui peuvent être adaptés en fonction des situations. Il ne faut pas se censurer sur la créativité, sur les possibilités, y compris avec les professionnels de santé eux-mêmes. Mais, comme l’a exprimé M. Jomier, je pense qu’il y a un problème plus sociétal, il y a un problème de diversité ce qui implique de peut-être plus travailler sur l’apprentissage, sur connaissance de cette diversité et sur des modes de communication. Je pense que c’est important que nos professionnels et notamment ceux en première ligne et sont en lien avec le public soient formés et préparés, par exemple en matière de santé mentale de premier recours. Je crois qu’il faut développer les compétences, les connaissances et l’adapter en fonction des circonstances.
JL : Comme vous le disiez, on n’a souvent pas les moyens ou pas la possibilité d’envoyer les professionnels en formation sur des longues journées. Alors les formations de 2 heures, effectivement, ça peut être une solution. Est-ce vous qui les avez mis en place à l’APHM Mme Wrona ?
WW : Oui, ce sont des formations qu’on fait également dans la police car nous n’avons pas plus les moyens d’envoyer les gens en formation. C’est une intervention sur poste à la demande, jour ou nuit qui se veut très pratico-pratiques. Ca sert aussi de debriefing après des incidents, parce que les équipes qui les demandent ont parlé des suites sur les événements indésirables.
Mais nous n’avons également pas parlé des réseaux sociaux, des tiktokers qui filment en permanence les agents et qui posent des vraies difficultés dans les hôpitaux en publiant ce qui se passe, ce qui peut être très mal ressenti par les divers intervenants dans l’hôpital, surtout lorsque c’est de manière systématique,
Là aussi nous proposons cette formation, entre midi et deux, le soir, la nuit, pour deux heures. Et pour cela il n’y a que le bouche à oreille qui fonctionne. Et donc quand malheureusement il y a un événement c’est une occasion de mettre le pied dans la porte et d’aller expliquer. Et d’un coup, les oreilles s’ouvrent.
JL : Donc on doit aussi donner aux soignants le sentiment d’être en sécurité, leur apprendre à gérer ces situations de violence. Mais quand la violence arrive, quand elle survient, qu’est-ce qu’on peut faire, nous, pour les accompagner ? Vous avez cité la protection fonctionnelle, vous avez cité également l’accompagnement sur les plaintes aussi, est-ce qu’il faut tout de suite aller sur le terrain ? pour les rassurer, pour les écouter ou pas ?
NN : Alors, il y a déjà un premier niveau, c’est l’encadrement de proximité qui pour le coup est particulièrement impliqué soit directement, soit parce qu’il va intervenir pour gérer la situation. Ensuite, en tant que manager quel que soit le niveau hiérarchique, on est effectivement concerné puisqu’on va intervenir soit tout de suite, soit à distance de l’événement en fonction de la gravité de l’événement. Je pense que les Directeurs sont de plus en plus sollicités sur le terrain. Je ne sais pas si c’est bien ou pas mais on voit bien qu’il y a une prise en compte et une écoute à une demande du terrain. Mais est-ce qu’elle est justifiée ? Il y a probablement un équilibre à trouver. Je ne pense pas qu’en tant que directeur, vous puissiez aller sur toutes les situations et puis quand vous n’y allez pas, peut-être qu’on va vous dire que vous n’êtes pas venu. C’est un compromis, un équilibre difficile à trouver. Je pense que l’appui est d’abord sur les managers de premier niveau qui sont l’encadrement de proximité ou l’encadrement supérieur.
JL : Comment vous faites-vous avec les directeurs de l’APHM Mme Wrona ? Qu’est-ce que vous leur dites ?
WW : Alors, moi, j’ai effectivement constaté, j’ai des directeurs qui sont très impliqués. D’abord, j’ai rarement de relais pour la sécurité sur un site. C’est le directeur qui se sent investi de la mission de sécurité parce que c’est fondamental. Mais je ne sais pas s’ils ont ce besoin de vous voir, si c’est une nécessité d’y aller, je ne sais pas, je ne saurais pas le dire non plus.
JL : Je pense que c’est une question qu’on se pose beaucoup. Est-ce qu’il faut réagir ou réessayer d’être dans l’accompagnement ? Donc, on a parlé des solutions qu’on peut mettre en œuvre, mais je voudrais revenir sur les solutions pour prévenir ces violences. On sait par exemple qu’il y a plus de violence en psychiatrie, en EHPAD ou dans le service des urgences, que ça concerne majoritairement les IDE, mais aussi les agents de sécurité et les agents administratifs qui sont en première ligne. Mais comment pourrait-on prévenir davantage ces violences pour éviter qu’elles surviennent ? Il y a de la formation, mais celle-ci peut ne pas forcément préparer le soignant à recevoir cette violence avec ce qui s’ensuit derrière en termes d’arrêts maladie ou de désorganisation des services. Qu’est-ce qu’on peut mettre en place pour prévenir ces violences au sein de nos établissements ?
NN : Alors les mesures elles sont à la fois très spécifiques en fonction des secteurs et à la fois très générales. Je pense que la formation peut aussi être en prévention pour apprendre à détecter. Je parlais des formations de premiers secours en santé mentale, ce sont des formations qui apprennent à détecter, à repérer chez l’autre, les premiers signes ou les signes précurseurs d’un décrochement pour finalement conduire vers une potentielle violence. Ça je pense que c’est important d’apprendre à les repérer. Et donc pour tous les professionnels qui sont dans ces services, effectivement, au-delà de tous les moyens de sécurité dont on a parlé.
On a parlé des locaux, de l’organisation, de la gestion des flux, des retours d’expérience, des analyses d’événements et des retours d’expérience en équipe, ce qui permet aussi de comprendre quels mécanismes sont en action et ont mené à cette violence. Pour avoir moi-même géré un service d’urgence, je me suis rendu compte qu’il y a des professionnels qui étaient les plus souvent victimes que les autres. Donc peut-être qu’il y a des facteurs effectivement individuels et peut-être qu’il faut renforcer sur ces professionnels en particulier les formations ou qu’il faut quelquefois même leur proposer d’autres postes qui sont un peu usés.
JL : Par rapport justement à ces personnes qui décrochent, Mme Wrona a pris l’exemple d’une situation particulière pour savoir qu’une personne va commettre une violence physique, en tout cas, ou verbale. Est-ce que vous pourriez nous la raconter ?
WW : C’est ce dont vous parliez tout à l’heure, le décrochage empathique. Lorsqu’on est en proximité, on a vu qu’il y avait des distances sociales qui sont acceptables, la proxémie. Dans ces circonstances on essaye de garder une distance, on se déplace, donc on met quelque chose entre nous, et à partir du moment où votre agresseur fait ça, il lâche votre, il va décrocher de ce que vous lui dites, il ne l’entend plus et il faut s’écarter. Ça ne marche pas à tous les coups, mais ça marche à 99,9%. Avant une violence, il y a un décrochage empathique.
JL : M. Jomier, pourriez-vous revenir sur ce que vous avez proposé à travers le rapport NION/MASSERON pour diminuer les violences dans les établissements ?
BJ : Il y a tout un ensemble de mesures d’ailleurs qui se retrouvent. D’abord, nous avons une responsabilité sociétale, politique, générale, sur ce que produit et sur la demande de soins auprès d’un certain nombre de personnes. Ensuite, on a ce qui est intérieur à l’hôpital et dans le fonctionnement et dans les locaux. La tension physique vient après toute une montée de tension, ça rumine, ça grimpe, etc. Et on sait que les facteurs, même d’aménagement, peuvent apaiser la situation, peuvent être plutôt de nature à faire baisser la tension. Évidemment, il n’y a pas une mesure à prendre et qui règlerait tout d’un coup.
Mais il y a des mesures qui tiennent à la présence humaine. C’est-à-dire que quand vous restez pendant une demi-heure ou une heure, que vous craignez avoir quelque chose qui peut être grave, que vous ne savez pas et que personne ne vient vous parler parce que les soignants n’ont pas le temps, c’est terrible. C’est terrible que le temps de la parole soit pris sur le temps du soin. Et ça c’est un déport qui est pourtant est indispensable. Se priver du temps de l’échange et de la parole pour un soignant, c’est altérer la qualité du soin, c’est altérer la qualité de la relation avec l’usager et donc c’est nourrir aussi de la récrimination, du ressentiment, tout ce qui va provoquer logiquement la montée en tension.
Après cette commission d’enquête, j’ai fait voter au Sénat une loi sur les ratios patients-soignants dont les mondes soignant et hospitalier parlent beaucoup. Je sais que certaines organisations de directeurs n’y sont pas très favorables, mais elle dit quoi à cette loi ? Elle dit simplement qu’il ne faut pas appauvrir ce temps de la relation. Si vous l’appauvrissez, vous faites monter les tensions. Donc c’est un ensemble de mesures à prendre pour redonner du sens à l’hôpital. Je ne dis pas que l’hôpital n’a pas perdu son sens, mais qu’il faut en remettre dans le fonctionnement des hôpitaux. Et ça la population le voit, le verra.
Il y a également d’autres mesures à prendre. On pourrait communiquer un peu plus et peut-être un peu mieux aussi. La campagne « T’es malade, si tu t’en prends un professionnel de santé » comportait par exemple des mots qui n’étaient pas forcément très bien choisis, mais elle ramenait à la question des violences.
Donc, il y a aussi des mesures à prendre en la matière et il faut qu’elles soient maintenues dans le temps. Il faut un effet dans la durée, de façon répétée, permanente et c’est comme ça que vous arrivez à modifier les choses.
JL : Au niveau de la violence, quand on arrive dans l’après, on propose la protection fonctionnelle, on va aller voir, mais comment on peut accompagner l’équipe pour éviter qu’il y ait des arrêts longs qui désorganisent le service ?
NN : L’accompagnement des professionnels, il est à la fois individuel et collectif. Individuel, et vous l’avez dit, par l’accompagnement immédiat et effectivement la mise en place des dispositions législatives, réglementaires. Ensuite il peut y avoir le soutien aussi d’un psychologue ou d’associations qui sont aussi à disposition pour les professionnels et qui peuvent répondre à un besoin individuel immédiat ou à distance.
Le problème, il est d’ailleurs souvent dans les effets de la distance, c’est-à-dire que la réitération, la répétition de faits d’incivilité, elle peut amener, même si les chiffres ne sont pas très exhaustifs et pas très clairs dessus, à des accidents de travail, à des arrêts de travail qui ne sont peut-être pas immédiats, mais qui sont parfois six mois après l’événement. Parce qu’un autre événement, qui parfois est encore plus insignifiant que le précédent, va venir faire émerger la situation antérieure et donc provoquer un arrêt maladie.
Donc il est important les services de santé au travail aient les capacités d’agir. Malheureusement, on sait que ce sont des services qui sont en tension sur le plan des effectifs En tout cas, il faut qu’il y ait cet accompagnement, par des psychologues ou par la médecine santé au travail, ou même par la hiérarchie qui peut identifier et inciter le professionnel à lui donner des pistes, des outils, des moyens, des coordonnées.
JL : Et pour en revenir aussi aux conventions « santé, sécurité et justice ». Tout le monde n’a pas la chance dans son établissement d’avoir un commandant de police qui est directrice de la sécurité. Donc au niveau des conventions, comment les mettre en œuvre aujourd’hui ? Parce que je pense que la plupart maintenant en ont mais il y en a quand même qui n’en ont pas encore. Comment faut faire pour en faire une de convention avec la police et l’appliquer ?
WW : Pour la faire il faut déjà aller chercher le parquet, parce que c’est le parquet qui va être leader là-dessus. Pour co-écrire dès le début, il faut la police, avec le directeur interdépartemental (DIPN). Il faut aussi que la convention soit suffisamment peu contraignante, mais précise pour y mettre ce qu’on veut. Je prends pour exemple à Marseille, on a des référents au parquet ou dans les hôpitaux. La police municipale a aussi son rôle à jouer dans des grandes villes car elle vient en complément de la police nationale, notamment pour des passages de proximité, avec des passages. Il faut également faire vivre ces conventions, avec des réunions bi annuelles par exemple.
Par exemple, on n’a pas parlé des règlements de compte et de ce que ça implique pour les équipes qui voient arriver quasiment tous les deux jours un blessé par balle à l’hôpital Nord, et qui aujourd’hui finalement se sont très habitués à ça. Mais un règlement de compte ça veut dire avoir la cité qui descend derrière, parce que les gens qui sont victimes des règlements de compte généralement peuvent avoir la visite d’amis, de proches et peut-être de ceux qui vont venir finir le travail. Donc aujourd’hui on a mis en place des choses très simples : il y a un blessé par balle qui arrive, la police ne l’a pas accompagné, on appelle la police.
C’est pareil sur les violences conjugales. Vous avez peut-être tous, chacun, des plateformes de violences conjugales ou des maisons des femmes. C’est autant de moyens de faire vivre ces conventions qui viennent s’adosser à la première avec des protocoles spécifiques ou pas. Mais en tout cas, tout ça repose sur des maillages qui partent au départ de la Convention « Santé-Sécurité-Justice ». Et d’ailleurs c’est aussi important de prévenir les agents de ce qui est fait et de tenir au courant de s’il y a des suites, qu’ils sachent que derrière on prend en compte.
Enfin, notre travail s’arrête aux marches du palais [de justice]. Donc effectivement, il faut trouver un moyen, lorsque la police a déféré l’auteur des violences, d’avoir la réponse judiciaire. Et ce partenariat, cette Convention « Santé-Sécurité-Justice », c’est un bon moyen d’aller chercher la réponse.
JL : Je finirai en donnant la parole à Monsieur Jomier sur le civisme et la vie en société. Est-ce que vous pensez qu’on peut le remettre en place à l’hôpital, au cœur de l’hôpital ?
BJ : Je vais vous répondre mais je voudrais poursuivre sur ce qu’a dit madame la commissaire parce que je trouve que c’est fondamental. Vous savez le Parlement est saisi d’un texte de proposition de loi aggravant les peines en cas de violence contre des professionnels de santé dans les hôpitaux, etc. Et je dois dire que mon opinion n’est pas formée définitivement sur cette question.
Parce que ce que je constate, c’est que c’est la question de l’effectivité et de l’application réelle des peines qui est en question. Parce qu’on peut toujours aggraver des peines, mais quand elles ne sont simplement pas appliquées ça ne change rien. Et ce n’est pas propre au domaine des violences contre les professionnels de santé.
J’étais très en colère il y a quelques jours, parce qu’il y a eu un contrôle policier organisé à Paris sur les cartes de stationnement pour les personnes en situation de handicap dont on sait qu’il y a environ 50% de cartes qui sont fausses. Ça dit quelque chose du civisme et c’est pour ça que je suis venu. 50% de fraude sur une question qui est le respect de la place des personnes en situation de handicap dans la ville. Or les policiers qui ont procédé au contrôle, on fait de simples rappels à la loi pour des gens qui ont photocopié, des cartes qui ont fraudé délibérément.
La sanction existe, elle est réelle, je crois que c’est 1500 € le procès-verbal. Mais on ne l’applique pas. Donc on a quand même un problème qui est de toujours discuter de l’aggravation des sanctions, de on va taper plus fort, on va taper plus fort, mais au fond de ne pas appliquer ce qui existe déjà.
Effectivement quand quelqu’un commet une faute une fois, on peut comprendre : il s’est énervé, rappel à la loi, on passe. Mais deux fois, trois fois, il faut peut-être arrêter là, il faut peut-être passer à l’action sans forcément l’envoyer trois mois en prison non plus parce que ça serait disproportionné.
Donc on a quand même un problème un peu erratique, il me semble, de mauvais fonctionnement dans notre chaîne pénale. Alors après tout ça amène à la question de la vie en société, de ce qu’on appelle le civisme au sens plus large. Je pense que les politiques ne font pas les évolutions de la société, surtout qu’on les écoute de moins en moins. On ne peut pas non plus demander que la solution vienne de là et en même temps ne pas écouter. Mais il est certain pour moi que quand la vie politique est faite de brutalisation, je le redis, de dissensus permanent, d’incapacité à générer de la solution, parce qu’il y a des solutions à des tas de problèmes existants, mais qu’on préfère rester dans sa posture, dans un discours politique confortable qui est un discours de tension. Si le discours politique qui est tenu dans notre pays est un discours de fracturation, d’opposition des groupes les uns aux autres et des discours identitaires, on va dire, enfermés sur eux-mêmes, alors on nourrit, évidemment, les tensions à l’hôpital mais bien ailleurs aussi, dans l’espace public et partout. Et malheureusement, c’est ce qu’on constate, mais moi je ne suis pas pessimiste. Je pense qu’on doit avoir un sursaut collectif. Les Jeux encore une fois ont été un moment, clairement, de sursaut collectif, d’autre chose, et ce qui a été donné à voir et à vivre à ce moment-là doit nous donner envie de vivre comme ça.