Le syndicat de tous les manageurs de santé
LE SMPS

Actes du Congrès national 2023 – Table ronde n°2: « Les frontières entre les temps pour les manageurs : l’équilibre entre la vie professionnel et personnel »

La deuxième table ronde du Congrès a ensuite porté sur l’équilibre entre la vie professionnelle et personnelle.

Parvenir à concilier le temps professionnel et le temps personnel tout en parvenant à bien délimiter chacun de ces temps demeure un enjeu majeur du quotidien des manageurs de santé. Il faut ajouter à cela que les structures de santé sont par nature des lieux où le temps de travail ne s’arrête jamais réellement, ce qui peut avoir un impact non négligeable dans la vie de professionnels chargés d’assurer le bon fonctionnement continuel de leurs établissements.

En partenariat avec le Bureau d’Intelligence Collective de la MNH et avec le collectif « Égalité professionnelle » du SMPS, cette table ronde a en outre permis d’aborder plus particulièrement la situation des femmes et de comment les établissements « prennent soin » des futures/jeunes parents. L’expertise du sociologue Julien Damon, professeur associé à Sciences Po Paris, a permis d’élargir la réflexion à la société dans son ensemble en mettant notamment l’accent sur les conséquences sur la vie privée.

Avec :
Caroline CHASSIN, Directrice d’hôpital. institut Paoli-Calmettes, Marseille, en qualité de modératrice
Julien Damon, Sociologue, Professeur associé à Sciences Po, Conseiller scientifique à l’EN3S
Emilie Blanchet, Sage-femne coordinatrice, CHU de Clermont-Ferrand
Dominique Combarnous, Cadre supérieure de santé, Présidente de l’ANCIM – Association Nationale des Cadres de Santé et Membre du Bureau d’Intelligence Collective (BIC – Mutuelle Nationale des Hospitaliers (MNH))


La conciliation entre son temps de travail et son temps personnel devient une problématique majeure : 96% des collègues DH estiment que c’est une préoccupation (enquête de l’association des directeurs d’hôpitaux). Pourtant, moins de la moitié des manageurs estiment réussir à concilier ces deux temps. Cela reste donc un tabou dans la fonction publique hospitalière. Pour structurer les échanges, Caroline Chassin propose de diviser la table en deux moments :

            -Le diagnostic qu’on peut établir sur ce sujet de l’équilibre 

            -Les solutions, les leviers à activer.

Dominique Combarnous prend la parole en qualité de Présidente de l’ANCIM mais également en tant que représentante du bureau d’intelligence collective (à l’initiative de la MNH) qui est un espace de questionnements et d’échanges touchant les sujets des personnels hospitaliers.

Elle précise qu’en 2023, le sujet de travail du bureau était la maternité des hospitalières.

Le premier postulat, c’est de relever que le fait d’être enceinte rend difficile la poursuite du travail dans les meilleurs conditions. 50% des femmes estiment que leur grossesse est mal perçue par leur employeur. 40% des hospitalières interrogées ont été arrêtées plus de trois mois avant leur congé maternité et 75% ne se sont pas vues proposer d’aménagement de poste pendant leur grossesse. Derniers chiffres, seules 39% des hospitalières qui ont souffert d’une dépression postpartum ont bénéficié d’un accompagnement par des professionnels. En 2023, 55% des hospitalières continuent de penser que leur grossesse pénalise leur carrière.

Julien Damon estime que la politique familiale a toujours été très nataliste, la lutte contre les inégalités n’est venue que bien plus tard. C’est à partir des années 1980 qu’il y a un objectif de conciliation entre la vie familiale et professionnelle. Par conséquent, ça n’est que depuis les années 80 qu’il existe des financements du côté de la branche famille de la sécurité sociale en faveur des places des crèches. Les CAF paient plus pour les crèches de nos jours.

Le deuxième point abordé par Julien Damon porte sur la conciliation vie professionnelle/personnelle, c’est le sujet du numérique qui bouscule les équilibres entre les deux univers. Finalement, on a des temps professionnels durant lesquels on est envahi par notre vie privée. Inversement, on peut être envahi par notre vie professionnelle lorsqu’on reçoit des emails pros sur son smartphone. Il  reprend Jean-Emmanuel Ray, juriste spécialisé en droit du travail, la summa divisio du droit du travail et du temps de travail, c’était le lieu de travail et le lieu professionnel. Aujourd’hui, cette barrière a complétement explosé : en post-Covid, on est nombreux à télé-travailler, parfois au-delà des horaires habituels. A l’inverse, certains viennent au travail et ne font pas grand-chose, ils regardent leur téléphone notamment ! Finalement, Monsieur Ray dit que le seul moment où les cadres ne sont pas envahis, par la vie professionnelle ou par la vie privée, et où ils ont le temps de réfléchir, c’est sous la douche !  

Emilie Blanchet vient apporter un exemple concret sur la maternité. A Clermont Ferrand, à la maternité du CHU, des salles d’allaitement en retour de congé maternité et à destination des professionnelles ont été installées. L’allaitement maternel  a des bénéfices sur la diminution des infections et des bienfaits cognitifs dès trois mois d’allaitement maternel. Le lait maternel a un effet protecteur multiple : il réduit les risques de surpoids et de diabète. Enfin, sur le plan économique, des études ont évalué à 302 000 milliards les pertes financières en cas d’absence d’allaitement maternel. Comme le quotient intellectuel baisse, c’est des personnes qui feront moins d’études et des métiers à moindre valeur ajoutée. Une autre étude, cette fois-ci en Espagne, a montré qu’à chaque augmentation d’un point de pourcentage d’allaitement maternel exclusive, le système de santé économisait plus de 5 millions d’euros. L’OMS recommande un allaitement maternel de la naissance jusqu’au six mois de l’enfant. En droit français, le Code du travail dresse plusieurs articles en lien avec l’allaitement maternel :

            -Le 1er, c’est que chaque femme doit bénéficier d’une heure par jour de travail pour l’allaitement maternel jusqu’au un an de l’enfant

            -Le 2ème, toute structure de plus de 100 employés doit mettre à disposition de ses professionnelles une salle dédiée à l’allaitement maternel.

Au CHU de Clermont-Ferrand, l’objectif d’installation d’une salle consacrée à l’allaitement maternel était de faciliter la poursuite du travail au retour du congé maternité, d’augmenter le confort des professionnelles mais également de réduire l’absentéisme au travail (absentéisme maternel, maladies infantiles). C’est une démarche de prévention primaire. Dans le service, 81% des professionnels étaient en âge de procréer.

Jusqu’à l’ouverture de la salle, il y avait une tolérance accrue pour les professionnelles sur l’allaitement maternel mais pas de lieu spécifique pour le faire. La médecine du travail en 2019 a donné un chiffre sidérant : seulement 22% des professionnelles revenant de congé maternité continuaient à allaiter leur nouveau-né quand elles étaient 55% en sortie de maternité. Au CHU, le choix a été fait de monter un groupe de travail sur le sujet qui a permis l’ouverture de la salle en juillet 2021. Elle a coûté 8 538 euros, dont près de 3 000 euros de dons privés et associatifs. En fin d’année 2022, deux autres salles ont été installées sur les deux autres sites du CHU. Entre novembre 2021 et juillet 2023, une trentaine d’utilisatrice ont été recensées. 77% des femmes interrogées se sentent encouragées dans leur projet d’allaitement maternel et plus de 80% ont eu le sentiment de réduire leur charge mentale.

Caroline Chassin interroge la question de l’adaptation de nos milieux de travail et l’interaction entre vie professionnelle et personnelle qui n’est peut-être pas si négative mais plutôt à considérer du point de vue des femmes. Elle  complète en regrettant l’absence historique de réflexion sur ces sujets dans un milieu qui emploie jusqu’à 80% de femmes.

Julien Damon répond que la politique familiale est antérieure à la féminisation du monde du travail. Aujourd’hui, elle se veut un substitut aux parents qui travaillent lorsqu’il s’agit de financer les crèches ou des haltes garderies ou des assistantes maternelles pour les 0 – 3 ans. Malgré ce substitut, on constate que l’indemnisation du congé parental est très sexiste car dans 90% des cas, c’est la mère qui le prend.

Ce substitut, les parents ont le choix de le prendre entre le substitut ou demeurer auprès de son enfant pendant ses trois premières années.

Pour Dominique Combarnous, en dehors de l’allaitement, il y a des préjugés sur la maternité. 75% des femmes s’arrêtent trois mois avant leur congé maternité et c’est dommage. Il faudrait presque inventer des postes où placer les femmes enceintes, aménager les places de stationnement, prévoir des tenues adaptées…

Pour Emilie Blanchet, dans son établissement, à partir de 22 semaines d’aménorrhée, les femmes ne sont plus au planning dans certains établissements, elles sont en surplus, ça enlève une charge mentale. Des professionnelles vont parfois jusqu’au congé maternité, elles arrêtent à 28 ou 30 semaines. On peut également les placer provisoirement sur le service de physiologie où il y a moins de manutention, où les gens sont en bonne santé. 

Caroline Chassin conclut ce temps d’échange en expliquant qu’il serait pertinent de féminiser un peu les règles d’organisation du temps de travail. Pour continuer sur le sujet, elle interroge les solutions qui pourraient être mobilisées et comment chacun peut libérer cette articulation vie pro/perso pour la vivre de la meilleure manière.

Julien Damon propose plusieurs pistes. En réunion, à plusieurs, ne pas utiliser son téléphone ou ordinateur portable. Nous n’avons pas la capacité à être multitâches, sur les outils numériques, on peut être très vite tenté de faire autre chose. Limiter le recours aux artifices numériques, ça revient à ne pas faire trop entrer la vie professionnelle quand on est chez toi et vice-versa.

La deuxième proposition, c’est de faire des réunions debout, ça permet d’en limiter le temps.

La troisième, c’est de jouer sur la protection sociale complémentaire. Ça va être la prise en charge à 50% de la mutuelle par l’établissement. Il faut demander à ce que les questions de conciliation entre vie familiale et professionnelle soient prises en compte.

Le quatrième point, ce sont des réunions qui terminent toujours à 18h, ça change la vie de famille.